RECHERCHE

▪ Biographie

Pierre Aristide Adolphe Lefour, bien oublié, est une révélation de nos recherches. Fils d’un bonnetier d’Orléans, bachelier en 1822, licencié en droit en 1827, il intègre l’Institut royal agronomique de Grignon (1828-1830), puis il parfait sa formation en Allemagne (1831-1832) auprès des Instituts réputés d’Hohenheim (Würtemberg) et de Schleissheim (Bavière). Cette formation lui permet de produire en 1833 un mémoire remarquable sur l’état de l’agriculture allemande, où domine encore le servage et dont il fait l’histoire puis décrit les divers systèmes d’exploitation et d’assolement, y compris dans les pays voisins. Alors qu’il n’a que 30 ans, Caffin d’Orsigny, qui l’a remarqué à Grignon, le recrute pour le mettre à la tête, le 5 avril 1834, de l’exploitation agricole de La Varenne Saint-Hilaire, qu’il dirigera pendant quatorze ans. Dans la Ferme des Piliers (avenue des Piliers/rue Saint-Hilaire), Caffin et Lefour ouvrent ensemble, dès le 15 octobre, une structure inédite : une ferme-école, la première ferme-école fondée sous ce nom en France. Les élèves sont admis à partir de 16 ans pour un cycle de deux ans comprenant Technologie agricole, Agriculture et Sciences accessoires, avec partenariat avec l’École d’Alfort pour l’art vétérinaire. Les futurs fermiers devant être en bonne forme physique, il est prévu des cours d’équitation et de natation. À la disposition des élèves, 300 hectares en deux fermes, celle de Caffin et celle affermée à Lefour, plus la fabrique de sucre, la féculerie de pommes de terre, la distillerie, etc.

Et ce n’est pas tout. Lefour n’a rien d’un fermier ordinaire. Outre la gestion de l’exploitation et la gestion de l’école, il se révèle un écrivain agronome brillant et prolifique. C’est depuis sa ferme de La Varenne qu’il publie diverses études et qu’il cofonde et anime, pendant douze ans, le Journal d’agriculture pratique et de jardinage. Il y tient en particulier une remarquable chronique agricole mensuelle qui fait autorité et qui témoigne d’une connaissance très complète de l’agriculture française et étrangère, tant sur le plan économique que sous les aspects géopolitiques. On peut se demander comment, à cette époque, il est possible qu’un agriculteur isolé dans sa ferme — en fait, il est sans doute, comme Caffin, très parisien — puisse être au courant de tout ce qui se fait en France et à l’Étranger, et publier périodiquement l’évolution du cours de tous les produits agricoles. Il signe invariablement ses chroniques, tout simplement : « Lefour, fermier à La Varenne Saint-Maur ». C’est qu’à l’époque, être fermier à La Varenne n’est pas une tare. Auprès de Caffin, c’est un titre de gloire. C’est aussi à La Varenne que Lefour prépare un Manuel du cultivateur à l’usage des fermes-écoles en cinq volumes qui paraîtront de 1851 à 1854. Sa renommée est telle dans les milieux agricoles qu’après la vente de la ferme des Piliers par Caffin, il assure le secrétariat du Congrès central d’agriculture (1845-1847), tandis qu’il est membre de jurys à l’Institut de Grignon, dont il préside la Société des anciens élèves, et dirige le Moniteur de la Propriété.

Puis il est nommé inspecteur de l’agriculture en mai 1847 et devient l’année suivante l’un des deux premiers Inspecteurs généraux de l’agriculture, chargé de l’Île-de-France et de toute la partie nord de la France, donc la France agricole la plus productrice, où tous reconnaissaient son autorité. Jusqu’à sa mort soudaine en août 1863, laissant inachevée une étude sur l’élevage des ovins, il a déployé une énergie sans pareille pour développer l’agriculture française et la formation des agriculteurs, multiplier les congrès, comices et concours agricoles, coorganiser les grands expositions agricoles universelles de 1856 et 1861 et faire connaître les techniques d’agriculture et d’élevage à travers une quinzaine de publications, dont un Manuel complet du cultivateur en 1848-1850, un Manuel aide-mémoire du cultivateur en deux volumes en 1860, des études sur l’altération de la pomme de terre, sur la race bovine flamande, sur l’amélioration du sort des travailleurs, etc. Ses manuels d’élevage, de comptabilité agricole, d’entretien des animaux de trait, de constructions rurales, de mécanique agricole, de défrichement, d’assainissement, d’engrais, de drainage et de labour seront publiés, republiés et traduits en italien et en espagnol jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le Moniteur et les Annales de l’Agriculture saluent son esprit éminent, habile et dévoué, « écrivain brillant et polémiste distingué », l’art avec lequel il avait dirigé la ferme de La Varenne jusqu’à son lotissement, et le caractère à la fois scientifique et expérimental de son travail, bref un des agronomes les plus éclairés de l’agriculture française. Voilà ressuscitée la mémoire d’un très grand fermier de Saint-Maur.

Pierre GILLON

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▪ Bibliographie et sources

  • dossier Légion d’Honneur LH/1552/61 ;
  • « Nécrologie », La Feuille du Cultivateur, Journal d’agriculture pratique, VI-1, juillet 1863, p. 157-158 (citation du Moniteur de l’agriculture) ;
  • Annales de l’agriculture française, t. 22, Paris, 1863, p. 313-314 (biographie) ;
  • E. Leblanc, « Quelques jalons pour une histoire de l’inspection générale de l’agriculture », Rapport d’activité de l’inspection générale de l’Agriculture, 2001.