RECHERCHE

▪ Biographie

Fils d’un receveur des tailles, il épouse en 1670 la veuve de François Le Bas, conseiller de la chambre du roi et trésorier des Ponts-et-Chaussées, qui lui apporte 230 000 livres de dot. D’abord commis pour recouvrir les tailles, receveur général des finances de la généralité d’Orléans (1679) puis de celle d’Amiens (1684), il vend toutes les seigneuries dont il a hérité pour acheter fin 1685, pour 2 230 000 livres, la charge de trésorier général de l’extraordinaire des guerres et de la cavalerie légère, qu’il occupera pendant quinze ans. Sa fonction est de payer les nouveaux régiments : 60 millions par an en temps de guerre, plus que le budget ordinaire du royaume. Il associe son beau-frère Jean de Sauvion aux bénéfices énormes de cette charge, jusqu’à un million de livres par an. Son enrichissement rapide fait de lui l’un des financiers les plus en vue de la place de Paris, on note son goût du faste insolent et son sens de l’organisation, à l’instar des grands seigneurs. Il investit dans la ferme du tabac, dans la ferme de Saint-Denis et dans des expéditions corsaires.

Il possède rue Neuve Saint-Augustin un des plus beaux hôtels de ce quartier de la finance, réputé pour sa décoration intérieure et son cabinet de curiosités, une maison à Fontainebleau, tandis qu’à Saint-Maur il a racheté en mai 1688 la grande propriété d’Étienne Moulle, fermier général en faillite, où il aurait dépensé en douze ans 700 à 800 000 livres (deux fois plus que Gourville pour le château des princes de Condé) : il fait construire en 1690-1691, probablement par l’architecte Pierre Bullet, une grande maison aux décors somptueux — dont un cabinet chinois —, que Saint-Simon juge la plus jolie du monde : c’est le « Petit Bourbon », 4 rue Mahieu ; de cet édifice subsistent les remises à carrosses en demi-cercle au n° 36 rue du Four. La Touanne fait aménager des jardins extraordinaires en terrasses, dont le morceau de bravoure est une vaste fontaine à gradins en gazon en hémicycle, issue d’un champignon ou « rocher suintant » et ornée de chandeliers pour les visites en soirée. Elle fait l’admiration générale et sera gravée par Dézallier d’Argenville dans sa Théorie du jardinage. Le trésorier général s’attire, selon La Bruyère, la jalousie de son important voisin, le duc de Bourbon, fils du prince de Condé. Le train de maison de Saint-Maur et la qualité d’accueil des invités sont réputés : un coup de couleuvrine avertit les officiers de dresser la table, un second coup ordonne aux domestiques de se tenir prêts dans les cuisines, et trois autres commandent le service. La Touanne entretient aussi fastueusement sa maîtresse, la belle Fanchon.

Une fortune aussi rapide est fragile. Pour financer l’effort de guerre auquel ils étaient engagés, faute d’un financement régulier du Trésor royal, les trésoriers avaient recours à l’emprunt auprès de financiers et des courtisans, et faisaient fructifier les sommes colossales qui transitaient par leurs mains. Mais en mai 1701, le passif s’élevait à près de dix millions de livres, dont ils ne pouvaient couvrir que six. Suite à une rumeur de banqueroute causée par une indiscrétion de son beau-frère, la caisse de La Touanne est saisie et Louis XIV ordonne d’embastiller Sauvion et La Touanne, dont la charge est confiée aussitôt par le roi à son beau-fils Claude Le Bas, gendre de Jules Hardouin-Mansart. La Touanne, très malade, meurt le 18 juillet 1701 à Champs-sur-Marne où il faisait travailler 300 à 400 ouvriers pour bâtir le nouveau château. Il est inhumé le jour-même en sa chapelle de l’église de Champs. Pour éviter des remous financiers et un scandale, des proches du roi étant impliqués dans les emprunts — dont Mme de Maintenon et Mme de Louvois —, Louis XIV décide d’acquitter les dettes. Les biens du trésorier sont saisis pour rembourser les emprunts, et le complément assuré par des prélèvements sur les aides et gabelles, la perte finale, épurée en peu d’années, s’élevant à sept millions de livres.

Le duc de Bourbon se fait aussitôt attribuer par le roi, pour 20 000 écus (60 000 livres), les jardins et la maison de Saint-Maur, qui devient le Petit Château ou Petit Bourbon où les Condé reçoivent leurs invités. Occupé par la duchesse de Bourbon, fille du roi, jusque vers 1710, il est ensuite concédé pendant vingt ans à Mme de Blanzac, ancienne « sirène enchanteresse » et pipelette de la cour.

Devenir du Petit Bourbon : Acquis par une société immobilière qui s’empresse de construire des logements dans le parc et propose en vain à la Ville, en 1958, d’acquérir le l’édifice, il est inscrit au titre des Monuments historiques, ce qui n’empêche pas le préfet de délivrer un arrêté de démolition en 1962. Malgré une forte mobilisation de la Société d’histoire et d’archéologie, que des élus de la municipalité Noël accusent de défendre « une agglomération de taudis », et du conservateur du musée, Antoine Schlicklin, il est démoli en 1966. Il en subsiste les linteaux ornés de la porte et de la baie centrales, sauvés par l’association et remontés sur la façade d’une maison du vieux Saint-Maur construite par l’OPHLM en 1992 (n° 1 rue de l’abbaye). Le style dépouillé des façades, identique à celui du château de Champs-sur-Marne, permet d’y voir la main des Bullet, dont la clientèle était constituée de grands financiers. Le Petit Bourbon et ses remises en demi-cercle sont représentés en 1701 sur un cartouche du Plan Marlet (Archives nationales). On conserve des photographies des façades et un cliché des riches décors intérieurs.

Pierre GILLON

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▪ Nota

Tous les ouvrages et généalogies donnent une date fausse quant à la mort de La Touanne. Les registres paroissiaux de Champs indiquent avec certitude la date du 18 juillet 1701.

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▪ Bibliographie

  • Mémoires de Saint-Simon ;
  • Journal de Dangeau ;
  • Archives de la Bastille, t. X ;
  • Desnoiresterres, Les cours galantes, Paris, 1863, III, p. 216-218 ;
  • Mercure galant, juillet 1701 ;
  • F. Bayard, Le monde des financiers au XVIIe siècle, Paris, 1988 ;
  • Petit Bourbon : dossier aux Arch. comm. de Saint-Maur.