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▪ Biographie

À Saint-Maur, Marx Berr (ou Marx Cerfberr) a pour seule « gloire » la démolition du château ! Il était fils aîné de Cerf (= Hirsch) Berr († 1793), fournisseur en fourrages des armées de Louis XV et Louis XVI et protégé du duc de Choiseul, enrichi, dit-on, par la guerre de Sept-Ans. Il avait usé de son influence pour améliorer le sort de ses coreligionnaires et leur obtenir le droit d’habiter dans les villes. Le père de Cerf Berr avait été homme d’affaires et conseiller du prince de Nassau. Brasseurs d’affaires et spéculateurs avisés, influents et opportunistes, mais révolutionnaires efficaces, Cerf et Marx Berr, considérés parmi les plus riches juifs de France, auraient sauvé la Lorraine de la disette en 1789 à leurs frais et joué un rôle essentiel pour obtenir, en 1791, que les juifs d’Alsace et de Lorraine jouissent des droits civiques.

À Strasbourg, Marx a été membre de la garde nationale, sergent dans une compagnie de chasseurs du roi, puis chargé d’une remonte de cavalerie. En 1791, il équipe les volontaires de l’armée révolutionnaire, puis il est nommé directeur des achats pour le service de la Marine, au sein d’un Directoire des Achats où la Convention avait associé un banquier protestant, un juif et un savant : le résultat ne fut guère probant, mais l’État révolutionnaire en quasi faillite payait bien mal ses fournisseurs malgré l’émission constante d’assignats, et l’armée des sans-culottes était peu organisée : 500 000 hommes à nourrir, dont les subsistances disparaissaient mystérieusement. Arrêté en janvier 1793 avec ses collègues, Marx est vite libéré. Fin 1794, il s’associe avec ses frères dans une vaste entreprise d’équipage d’artillerie et de convois des armées de la République, qui compte bientôt 25 000 chevaux. En 1796, Bonaparte, qui n’a pas reçu les vivres pour l’armée d’Italie, les accuse de voler la République et leur voue une hostilité définitive. Ils répondent qu’ils ont englouti leur fortune personnelle pour avancer à toutes les armées des sommes colossales que le Trésor public ne rembourse pas. Après le coup d’État du 18 brumaire, Napoléon refuse de régler les dettes du Directoire. En 1811 encore, c’est en vain qu’ils réclament l’apurement d’une perte de plus de trois millions de francs, très contestée : « Ce sont des Arabes » [1], dit l’empereur des frères Cerfberr !

Décrété bien national en 1792, occupé par un dépôt de chevaux et des familles pauvres, pillé, dépouillé des plombs de la couverture, le château de Saint-Maur (n° 11 à 15 avenue de Condé) est mis en vente et adjugé à Marx Berr le 2 août 1796 : pour lui, ce ne sont que des matériaux à vendre et il n’a que mépris pour les habitants du village. Une année suffit à raser le monument. Après la faillite de son entreprise d’équipages, l’emplacement du château et le Petit Parc qu’il avait rachetés pour se constituer un domaine sont hypothéqués en 1798, saisis puis adjugés le 18 janvier 1800 à un négociant parisien, Jean-Baptiste Barré, père d’un futur maire de Saint-Maur. À la veille de sa mort, cherchant à obtenir de Louis XVIII la Légion d’Honneur, Marx affirmera avoir aimé Louis XVI, sauvé le maréchal de Ségur et plus de deux-cents émigrés (en les employant dans les équipages), et n’avoir « jamais acheté de biens d’émigrés ni biens nationaux » ! On devait à lui et ses frères, écrivait-il, 724 000 francs.

Pierre GILLON

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▪ Note

[1] Arabe se dit alors d’un homme qui exige avec une extrême dureté ce qui lui est dû.

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▪ Bibliographie

  • Ch. Poisson, Les fournisseurs aux armées sous la Révolution française, Paris, 1932 ;
  • R. Levylier, Notes et documents concernant la famille Cerfberr, Paris, 1902.