RECHERCHE

▪ Biographie

Voici un nom qui fait rêver : nombreuses furent les îles d'Amour, depuis les parcs du XVIIIe siècle à celles qui fleurissent autour de Paris au Second Empire. La nôtre a été célébrée, parmi d'autres, par Raymond Radiguet : « Un lieu m'attirait entre tous, qui me semblait mystérieux. C'est l'île d'Amour. Souvent dans les promenades du dimanche avec mon père, j'avais vu sur la rive des couples en couleurs claires sonner une cloche pour appeler le passeur — mystérieux comme une cérémonie antique — comme le passage de Caron. On ne payait rien au passeur. Il fallait que ce fût un pacte avec le diable. Un jour pourtant je devais aller à l'île d'Amour. Nous revenions d'Ormesson. Mourant de soif, nous allâmes nous y désaltérer. J'ai encore dans l'oreille la rumeur des jeux de tonneau, et le grincement de la balançoire. Un couple s'y balançait... » Et Radiguet de décrire comment l'escarpolette grinçait et montait de plus en plus haut, malgré l'écriteau Défense de se balancer à deux, jusqu'au drame final, atroce : la jeune fille projetée au sol, sanglante. C'était en juin 1914. Une autre chute mortelle eut lieu en 1923.

Jean-Marie Hédeline est un La Varennois, fils d'un charretier devenu bientôt le régisseur du plus gros cultivateur de la boucle, Poupart, jusqu'à sa faillite en 1829. C'est vers 1860 que Jean-Marie installe son pavillon vide-bouteilles dans l'île des Vignerons, paradis des pêcheurs. Les amoureux ne tardent pas à la rebaptiser île de Cythère puis île d'Amour. Le nom ne sera officiel que bien plus tard. Hédeline pêche lui-même et extrait parfois des noyés de la Marne. Sa matelote et sa friture, accompagnées d'un bichof (vin chaud), font fureur auprès des canotiers et canotières, jeunes pour la plupart, qui s'y pressent le samedi soir, les dimanches et fêtes pour boire, manger, chanter, danser sous les platanes, les trembles et les érables. Une escarpolette et un trapèze pour muscler les jeunes gens agrémentent l'établissement, desservi par un ballet incessant de bateaux et un passeur. L'île est occupée par les Prussiens dans l'hiver 1870-1871. Fin mai 1871, s'y cache un communard de vingt ans, Gaston Dacosta : dénoncé, envoyé au bagne puis gracié, il deviendra un excellent grammairien. Popularisé par quelques romans, une opérette et un vaudeville, l'établissement s'agrandit d'une salle de bal, on loge des artistes dans la vieille maison. Des chansonniers de Montmartre animent les soirées : on conserve une chanson sur le père Hédeline et sa fille, la belle Adeline. Hédeline meurt à 90 ans en janvier 1904. Adeline, trois mois plus tard. Les époux Baux qui leur succèdent maintiendront quelque temps la réputation du restaurant de l'île d'Amour : « Avec arbres dessus, avec fleuves autour / C’est une île de vin blanc et de balançoires / qu’on range dans le ciel dès que tombe le soir » écrit Cocteau. Mais dès les années Vingt, l'orchestre est peu réputé et les jeunes filles se font rares ou accompagnées de leur mère, le lieu isolé étant propice aux mauvaises rencontres. Le restaurant a fait faillite début 1964. Ses ruines subsistent dans l'île achetée par la Ville de Saint-Maur en 1994.

Depuis le quai de La Varenne (à peu près au niveau du Château des Îles) comme sur la rive opposée, une même cloche attachée à deux poteaux permettait d'appeler l’un des passeurs pour l’Île d’Amour ou pour l'Écu de France, hôtellerie fondée par le photographe Mandar côté Chennevières vers 1882 dans une ferme du XVIIIe siècle :  celle-ci est toujours en activité. Cette cloche n’avait rien à voir avec le banc décoré de céramiques, bien plus récent, édifié face au 135 quai Winston-Churchill par un retraité de la marine, M. Vacher, selon le témoignage de Jacqueline et Claude Dufresne.

Pierre GILLON

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▪ Bibliographie

  • La Bédollière, Le tour de Marne, 1864, p. 39 ;
  • Escoffier, Voyage autour du viaduc de Nogent, 1889 ;
  • Cocteau, Ile d'Amour, 1920 ;
  • Galtier, Le tour de Marne, 1923, p. 16 ;
  • Radiguet, « Ile-de-France, Ile d'Amour », Œuvres complètes ;
  • Pouvereau, dans Le Vieux Saint-Maur, 1923 ;
  • souvenirs de Maurice Chevallon, archives du Vieux Saint-Maur.